Clara en désordre / Gabrielle Delamer.

Si chaque personne est constituée d'un noyau dur, de cette partie de soi qui nous réconforte et nous aide à retrouver un peu de stabilité dans les moments les plus difficiles, celui de Clara est "éclaté ben raide". Côté famille, son père est parti en même temps que son grand frère Léo, la laissant seule avec sa mère dans leur grande maison de la Rive-Nord. Cette dernière peine également à refaire sa vie, haïssant les hommes tout en ayant constamment besoin d'eux (p.70). Considérant ses propres relations avec les garçons, l'adolescente s'interroge à savoir si elle n'expérimente pas pareille malédiction amoureuse. Elle ressasse ainsi ses souvenirs, pensant à son ami d'enfance qui lui avait demandé de devenir sa blonde en flattant sa "jambe-de-grizzli" pas épilée, au Brésilien qui la dévisageait sans gêne à l'arrêt d'autobus, au beau guitariste à qui elle a involontairement brisé le coeur, à son chum des dernières années qu'elle a peur de quitter, tout comme elle a peur de rester avec lui... Au sein de tous ces questionnements se faufilent les petites et grandes anxiétés du quotidien, qui prennent de plus en plus de place dans sa vie. En regardant vers le passé de la sorte, Clara peut lentement se détourner vers le futur et anticiper avec espoir et nervosité une nouvelle page au chapitre de sa vie: son entrée au cégep. [SDM]

Combien faut-il d'abandons, de coeurs brisés et de pertes de repère pour quitter le confort douillet de l'enfance pour le vide incertain de l'âge adulte? Au bout de combien d'ongles rongés? De maux de ventre? D'heures d'insomnie? De fuites furtives aux toilettes? C'est en dénombrant ces impressions trop souvent angoissantes, néanmoins intercalées de réminiscences agréables, que Clara fait le point sur sa vie, de sa plus tendre enfance jusqu'à la fin de son secondaire. Elle évoque ainsi ses souvenirs comme ils viennent, sans ordre temporel, ce qui est tout à l'image du fonctionnement de l'esprit humain et qui permet de tisser des liens entre les paroles souvent involontaires (mais lourdes de sens) des parents, des garçons et de tous ces autres qui attisent ses doutes. Par cette introspection habilement construite, elle partage au lecteur sa capacité à distinguer le ressenti du ressentiment, tout en conservant la candeur d'une langue orale qui sonne juste. Ce petit roman constitue ainsi une pépite littéraire à la fin ouverte (ce qui encourage une suite à cette réflexion à la fois intimiste et interpellative), réussissant à rejoindre tant un public adolescent que jeune adulte puisque les références multiples à la culture populaire des années 1990 et 2000 feront certainement sourire ceux qui se souviennent encore du "chat" sur MSN, d'Avenged Sevenfold et des paroles approximatives des chansons des Backstreet Boys. [SDM]

J 5.