Le coup de la girafe / Camille Bouchard.

Jacob a la mentalité d'un enfant de six ans et le corps d'un ado de quinze. Bien qu'intégré à une classe spéciale de première secondaire, il doit chaque jour essuyer les railleries et les humiliations que lui infligent le caïd Jules Imbeault et ses deux "colocus" (colle au cul) dans la cafétéria et sur le chemin du retour. La vie dans le petit appartement qu'il partage seul avec sa mère n'est malheureusement pas beaucoup plus sereine. En effet, il devient chaque jour de plus en plus pénible pour Jacob de voir les clients défiler dans la salle de "massage" maternelle, puis d'entendre les râles et les gifles que laissent filtrer les cloisons trop minces. Ceci jusqu'à ce que le silence revienne enfin et qu'il retrouve sa mère couverte de bleus, perdue dans les brumes du liquide qu'elle s'est injecté dans les veines pour échapper quelques instants à son triste sort. L'arrivée à l'école de Chloé et de Romain, qui lui vouent une amitié sincère, éclaire heureusement l'existence grise de l'adolescent. Malheureusement, ses deux copains ne sont pas auprès de lui lors de cette sortie scolaire au jardin zoologique où ses persécuteurs, menés par Imbeault, exploitent méchamment sa naïveté et son amour pour les girafes afin de l'entraîner dans un bâtiment fermé au public et l'enfermer dans l'enclos des lions, là où la mauvaise blague tourne à la tragédie... [SDM]

Un roman poignant, à la fois dur et émouvant, qui donne à pénétrer l'esprit d'un adolescent sensible et vulnérable, aux prises avec un trouble qui s'apparente à l'autisme, bien qu'il ne soit clairement nommé (Jacob se frappe la tête sur les murs, se balance, n'aime pas qu'on le touche). Impossible de rester de marbre à la lecture de ce récit qui nous donne à assister, impuissants, aux persécutions perpétrées par de jeunes caïds sans coeur et sans scrupules, et ce, sous le regard tour à tour méprisant, indifférent ou rempli de pitié des autres élèves, qui n'osent cependant pas intervenir. Le langage parfois vulgaire renforce d'ailleurs la cruauté des bourreaux, qui n'hésitent pas à dénigrer la mère aimante, mais toxicomane et prostituée du héros: "A montres-tu ses grosses boules à ses clients, ta mère?" (p. 20). Le dénouement tragique (au cours duquel Jacob se remémore l'abus sexuel dont il a été victime de la part d'un client de sa mère un soir où cette dernière était dans les vapes) ajoute encore à la charge émotive qui se dégage de cet ouvrage coup de poing qui stimule la réflexion sur la différence et sur l'intimidation, mais également sur l'indifférence dans laquelle cette dernière est trop souvent commise. On ne peut toutefois s'empêcher de se demander si cette surenchère d'événements dramatiques était bien nécessaire, la prostitution de la mère et l'abus de Jacob n'apportant rien de plus à l'histoire... [SDM]

J+ 4.